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Au Nord-Kivu, aller de Goma à Vitshumbi est une épreuve pour les nerfs. La route, en mauvais état, passe par des zones où règne l’insécurité. Notre correspondant raconte les quelque 120 kilomètres d’angoisse et de prières qu’il a partagés avec d’autres passagers.
Pour parcourir les quelque 120 km qui séparent Goma de Vitshumbi au Nord-Kivu, quatre à cinq heures “suffisent” normalement. Ce jour-là, le minibus tarde à démarrer, le temps que toutes les places soient occupées. Le trajet sera long et éprouvant pour le chauffeur et les 18 passagers. Premier obstacle, de taille : les routes, en piteux état dans cette région où certaines zones ne sont pas totalement contrôlées par le gouvernement. Régulièrement, le chauffeur doit ralentir brusquement à cause des nombreux trous de la chaussée pour préserver les amortisseurs, provoquant la panique chez certains passagers.
Dès la sortie de Goma, sur la colline Kilimanyoka, au pied du Mont Nyiragongo, il décélère soudainement pour saluer un militaire. Un passager sursaute et lui lance d’un ton sec : “Ne fais plus jamais ça ! Tu ne sais pas qu’une fois que tu as salué un policier, tu l’incites à demander nos identités ? Épargne-nous ces gens-là !” Un autre voyageur appuie : “Ce tronçon est dangereux ! Nous risquons de tomber dans une embuscade des coupeurs de route !” Le chauffeur présente ses excuses.
Nous traversons en effet des zones dangereuses (baptisées ici “triangles de la mort”) dans les villages de Kibumba, Birima, Mondogisto… Jusqu’à l’entrée du camp à Rumangabo, tous les passagers craignent une attaque comme celle survenue deux jours plus tôt à quelques mètres du pont. C’est ici, à l’entrée du barrage hydroélectrique Mondogisto, qu’un minibus a été pillé et un passager blessé par balle à la jambe… À mesure que nous approchons du lieu, une femme, à côté de moi, les yeux fermés, se met à prier en silence. Même ferveur sur le siège avant où un quinquagénaire égraine son tasbih, le chapelet des musulmans. D’autres discutent de l’actualité politique. Soudain, le silence se fait, pesant, seulement troublé par le ronronnement du moteur et des cris d’oiseaux. Nous sommes devant le pont à l’entrée de Mondogisto. Un des voyageurs me chuchote à l’oreille : “Ne t’en fais pas. Nous sommes habitués. C’est Dieu qui programme tout…”
Nous passons sans encombre cette fois-ci et arrivons, malgré l’état déplorable de la route, à Burayi, un autre “point rouge” situé à 4 km du centre de Rutshuru. C’est ici, à l’intersection de la route qui mène à Bunagana à la frontière avec l’Ouganda, qu’un colonel des FARDC est mort dernièrement dans une embuscade tendue par des hors-la-loi… À notre passage, un policier de roulage se place devant le véhicule. Le chauffeur lui tend trois billets de 500 Fc (0,55 $). La voie est libre et nous poursuivons notre route jusqu’à Kiwanja.
Un autre calvaire commence…
À Kiwanja, le bus s’arrête. Un autre calvaire commence pour moi, journaliste, car je dois trouver un autre véhicule pour aller à Vitshumbi, ma destination finale. Je suis obligé de passer une nuit ici. J’attends le jour du marché et un improbable camion à destination de Butembo, aucun bus n’allant directement à Vitshumbi. Le lendemain, j’embarque dans un camion avec à bord plus de 50 personnes assises sur des marchandises. Là aussi, la peur se lit sur les visages. Un passager commence à vomir. Nous avons parcouru seulement dix à quinze kilomètres et nous approchons du parc des Virunga. La présence de la tombe d’un militaire de l’ONU, mort à la suite d’une attaque de bandits, fait encore monter l’angoisse. Le chauffeur plaisante pour tenter de détendre l’atmosphère : “Nous ne sommes pas morts ! Si tel était le cas, moi je m’en serais sorti sain et sauf !”
Quelques minutes après, nous arrivons devant la barrière du parc. À Mabenga, un troupeau d’éléphants surgit et dévore les vivres que transportait un camion stationné sur le parking. Les passagers, eux, se régalent de cette scène inédite. Pas pour longtemps… Le stress nous colle de nouveau à la peau. Les gens chuchotent en indiquant du doigt d’autres endroits “rouges”. Les véhicules se dépassent. Les conducteurs échangent des “OK” pour signifier qu’il n’y a pas de danger à l’horizon.
On me dépose à 17 km de ma destination, à l’entrée de la pêcherie de Vitshumbi. Je prends une moto. À trois, nous payons moins de 10 $. Je resterai dans cette localité pendant deux jours. Échaudé par le stress du trajet aller, je suivrai les conseils d’un ami et retournerai à Goma à bord de la camionnette de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). Une question me reste en tête : comment font ces chauffeurs et commerçants pour courir ces risques chaque jour ? Pour ma part, ce voyage m’a causé quelques émotions et coûté trois fois plus que prévu… Difficile, dans de telles conditions, d’informer ses concitoyens sur ce qui se passe dans ces régions

20 commentaires sur « Goma-Vitshumbi : voyage au bout de l’angoisse »

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