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Ou comment le général Muhoozi Kainerugaba, actuel commandant en Chef de l’armée ougandaise, a sauvé Jean-Pierre Bemba à Beni en 2001.

La création du FLC à Kampala

En vue de résorber les conflits exacerbés de leadership qui émaillent la vie du mouvement politico-militaire RCD/K-ML, conflits qui opposent le professeur Ernest Wamba Dia Wamba, président de ce mouvement, d’un côté, et Antipas Mbusa Nyamwisi et John Tibasima, de l’autre côté, le président ougandais, Yoweri Kaguta Museveni, va encourager les dirigeants de ce mouvement à fusionner avec un autre mouvement politico-militaire congolais qu’il parraine également, le MLC de Jean–Pierre Bemba
C’est ainsi que le 16 janvier 2001 à Kampala (Ouganda) un accord politique est signé entre les cadres du MLC, du RCD-K/ML et du RDC-N de Roger Lumbala créant une plateforme dénommée Front de Libération du Congo (FLC en sigle). Après quelques négociations à Gbadolité, les animateurs des structures du FLC sont nommés. Jean–Pierre Bemba devient le président du FLC ; Mbusa Nyamwisi le commissaire général (équivalent du 1er ministre) ; John Tibasima, le commissaire général adjoint ; Olivier Kamitatu, secrétaire général. Le professeur Wamba Dia Wamba est proposé comme le président de l’Assemblée des membres (espèce de parlement).

Le professeur Wemba et Mbusa se mettent à l’écart

Mécontent, le professeur Wamba décline l’offre et se retire à Dar-es-Salam en Tanzanie.
Mais manifestement Mbusa Nyamwisi n’est pas très satisfait de cet arrangement politique. Il considère que, malignement, les ougandais ont retiré aux dirigeants du RDC-K/ML le contrôle effectif de leur mouvement pour le donner à Jean-Pierre Bemba ; qui, par ailleurs, décide de venir s’installer à Beni. Mbusa Nyamwisi, quant à lui, part s’installer en Afrique du Sud. Officiellement pour des soins de santé.

Nous avons déjà vu, en détails dans deux articles précédents, comment la gestion de Jean-Pierre Bemba a dégénéré en affrontements armés, dans la ville de Beni, entre les militaires du MLC et ceux du RDC-K/ML. Nous avons vu aussi comment les militaires de Mbusa vont prendre le dessus sur ceux de Jean-Pierre Bemba ; jusqu’au point où le Leader du MLC est complètement encerclé dans la concession ENRA de Beni qui lui servait de quartier général. Nous avons enfin vu comment Jean-Pierre Bemba a sollicité l’intervention de Thomas Luhaka, le secrétaire national adjoint du FLC en charge des activités militaires. Ce dernier se retrouve à Butembo à la tête d’une brigade (environ 2700 hommes). Mais Butembo se trouve à environ 50 Km de Beni. Et l’état de la route ne permet pas une intervention rapide.

Le colonel ougandais Burundi ne veut pas intervenir

Donc, la solution la plus facile et la plus rapide pour desserrer l’étau des militaires de Mbusa autour de Bemba est l’intervention du contingent ougandais qui est sur place à Beni. Malheureusement pour Jean-Pierre Bemba, le commandant de ce bataillon ougandais, le colonel Burundi, refuse catégoriquement d’intervenir dans la bataille. Pour trois raisons essentielles.
Primo, il avait, à plusieurs reprises, déconseillé Jean-Pierre Bemba de recourir à la force pour neutraliser les gardes de la résidence de Mbusa Nyanwisi. Il prônait plutôt de recourir à la négociation. Maintenant que Bemba est en difficulté, le colonel Burundi considère que le chairman (surnom de Jean-Pierre Bemba) est victime de son arrogance. Il ne lèvera pas le petit doigt pour l’aider.
Secundo, le colonel Burundi est réputé proche de Mbusa Nyamwisi. Que celui-ci ait mis à terre son adversaire politique ne peut que réjouir le colonel ougandais, qui par ailleurs cherche à tout prix à éviter une confrontation avec les nande (Mbusa et beaucoup des jeunes militaires du RDC-K/ML sont des nande). Parce que la tribu nande est à cheval sur la frontière de la RDC et de l’Ouganda. On appelle les nande de l’Ouganda les kondjo. Et ces kondjo seraient mécontents d’apprendre que l’armée ougandaise à massacrer des jeunes nande à Beni.
Tertio, manifestement, le colonel Burundi avait reçu des instructions de sa hiérarchie pour ne pas intervenir dans ce conflit congolo-congolais entre Jean-Pierre Bemba et Mbusa Nyamwisi.

On empêche Bemba de communiquer avec le président Museveni

C’est à ce moment que Jean-Pierre Bemba, en difficulté, tente à plusieurs reprises d’entrer en contact téléphonique avec son parrain le président ougandais Yoweri Museveni. Mais sans succès. A chaque fois, le standardiste du président ougandais lui dit que Mzee (surnom de Museveni) est en réunion, il est occupé ; il va rappeler, etc… Et pendant ce temps, les militaires de Mbusa Nyamwisi lancent des mortiers dans la concession où se trouve Bemba. Et d’autres veulent carrément pénétrer dans la concession pour en finir une fois pour toute avec Jean-Pierre Bemba. Paradoxalement, c’est Mbusa Nyamwisi qui tonne sur ses commandants, en particulier sur le commandant Claude Kiza le chef de sa garde rapprochée, pour les empêcher de tuer Bemba. Pour Mbusa, l’objectif recherché était d’obtenir que Bemba rentre chez lui à l’Equateur, pas son élimination physique.

L’intervention du capitaine Jeffrey

C’est dans ce contexte de tension extrême qu’un bon samaritain va apparaître du côté de Jean-Pierre Bemba. Cet homme s’appelle capitaine Jeffrey. C’est un officier de renseignement (IO, intelligence officer) de l’armée ougandaise, l’UPDF (Uganda People Defence Force). Très proche de Bemba, le capitaine Jeffrey va lui expliquer qu’il est victime d’un grand complot au niveau de certains généraux de l’UPDF. Ils ont mis un verrou au niveau du standard téléphonique du Président Museveni, qui n’est pas du tout informé de la situation de Beni. Et Jean-Pierre Bemba aura du mal à l’avoir au téléphone.
C’est à ce moment que le capitaine Jeffrey va proposer à Bemba une piste de solution. Il informe le président du MLC que le major Muhoozi, le fils du président Museveni, est en formation dans une académie militaire en Egypte. « Voici son numéro de téléphone là-bas. Tu n’as qu’à l’appeler et lui expliquer ta situation. Comment tu es encerclé par les militaires de Mbusa et que le colonel Burundi, commandant du contingent UPDF de Beni ne veut pas te secourir » dit-il à Jean-Pierre Bemba.

Bemba appelle le major Muhoozi

Bemba va se saisir de cette opportunité en appelant le major Muhoozi en Egypte. Il lui explique la situation dans les détails. Sans hésiter, Muhoozi appelle son père et lui explique la situation critique de Jean-Pierre Bemba et comment ce dernier n’arrive pas à l’avoir au téléphone. Sur le champ, le président Museveni appelle son chef d’état-major général de l’époque (2001), le général James Kazini, et l’instruit d’aller personnellement à Beni sauver Jean-Pierre Bemba.
Le 8 juin 2001, le général Kazini atterrit à Beni en provenance de Kasese sous des tirs de balles. Il est accompagné de son ami congolais Roger Lumbala. Le général ougandais met immédiatement aux arrêts le colonel Burundi et confie le commandement du bataillon UPDF à son adjoint, un jeune major ; à qui il donne l’ordre de sortir les « Mamba » (Véhicules blindés) et les « Bifarus » (Rhinocéros = chars de combat) pour aller libérer Jean-Pierre Bemba. Les ougandais se déployent dans la ville de Beni en tirant en l’air pour disperser les militaires du RDC-K/ML de Mbusa Nyamwisi.
Après avoir desserré l’étau autour de Bemba, le général Kazini et Roger Lumbala entrent dans la concession où ils trouvent le président du MLC sain et sauf, entouré de quelques-uns de ses camarades du mouvement: François Muamba Tshishimbi, Dominique Kanku, Roger Nimy, Mama Micheline Bie Bongenge, Monfort Konzi. Tous ces gens vont être évacués sur Kampala et ça sera la fin du FLC.

La dissolution du FLC

L’acte officiel de décès du FLC sera signé à Kampala au cours d’une réunion de hauts cadres du FLC (Jean-Pierre Bemba, Antipas Mbusa Nyamwisi, John Tibasima, Olivier Kamitatu, Roger Lumbala) ; réunion présidée par le chef de l’Etat ougandais, Yoweri Kaguta Museveni. En application des résolutions de cette réunion, Jean-Pierre Bemba va récupérer ses cadres et ses militaires du MLC et retourner dans son fief à l’Equateur.

A suivre !

Thomas LUHAKA LOSENDJOLA

– Extrait de « Mes mémoires »
– « Le choix de la liberté » de JP Bemba

Vos observations, corrections et critiques sont les bienvenues

P.S : En lisant cet article, un ami a cru comprendre le comportement actuel de Jean-Pierre Bemba qui crée une diversion en s’attaquant avec une violence verbale inouïe à Joseph Kabila, son ancien patron dans le 1+4, pour s’éviter de critiquer Paul Kagame, le mentor de l’AFC-M23 de Corneille Naanga. Rappelons-nous que le général-major Paul Kagame avait reçu Jean-Pierre Bemba à Kigali le 12 septembre 1998 avant la création même du MLC. Le MLC sera officiellement créé le 30 septembre 1998 à Kisangani. Selon le témoignage de Bemba lui-même, cet entretien avec le leader rwandais avait duré deux heures (Voir le livre de Jean-Pierre Bemba « Le choix de la liberté » page 9-10). S’attaquer à Joseph Kabila permet aussi à Jean-Pierre Bemba de ne jamais réagir aux discours belliqueux de Muhoozi, le fils du président Museveni, devenu aujourd’hui général et commandant en chef de l’armée ougandaise. Le président du MLC s’interdit même de s’interroger à haute voix sur l’agenda réel de l’armée ougandaise en Ituri et au Nord-Kivu.

Cette diversion politique de Jean-Pierre Bemba, qui consiste à s’attaquer violemment et presque de manière obsessionnelle au sénateur à vie Joseph Kabila, semble plaire à certains hauts cadres de l’Union Sacrée ; mais tous ne sont pas dupes. Certains ont bien compris le jeu de leur partenaire de circonstances qui tente de saborder la cohésion nationale tant recherchée en ce moment critique par le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi, tout en s’évitant de critiquer ses anciens bienfaiteurs (Museveni, Kagame, Muhoozi…). A chacun de nous d’apprécier la pertinence de cette analyse de mon ami.

Fin du premier épître.