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Reportage à Goma.

Bien que la loi congolaise considère ces actes comme des crimes, dans les faits elle ne s’applique pas faute de moyens permettant d’identifier leurs auteurs.
Pour Alain Wandimoyi, la responsabilité de ces actes reste toutefois partagée. La pauvreté pousse certaines filles, comme Ange, à la prostitution et les expose à des grossesses non désirées. “On n’a pas le choix, confie-t-elle. J’étais à bout du souffle. Mes parents n’étaient plus en mesure de payer mes études et d’assumer certains de mes besoins. Alors, je me suis mise à courir après les hommes et comme résultat, je suis tombée enceinte.” “Cette grossesse n’a pas été bien accueillie par mes parents qui m’ont expulsée. Aujourd’hui, je me débrouille comme une femme seule”, poursuit-elle.


Des causes mais aussi des responsabilités

Certains parents refusent, en effet, de prendre en charge leur fille avec leur enfant, prenant prétexte de la conjoncture économique. Gratien se montre très dur à l’égard des filles enceintes. “Souvent, elles ne mesurent pas la pauvreté que nous inflige notre gouvernement. Lorsqu’elles ramassent leur grossesse, elles doivent être conscientes des conséquences. Cette fille n’a pas sa place chez moi. Et je dois tout de suite la chasser, car cela m’apporterait trop de charges entre son entretien, sa grossesse et son enfant. Pour ça, je dis non !”
D’autres parents se montrent plus compatissants et condamnent un tel rejet. C’est le cas de Michel M., un père d’une cinquantaine d’années : “Au contraire, si ma fille tombait enceinte, je devrais m’interroger sur ma part de responsabilité dans tout cela. Nous ne devons pas chasser de nos maisons nos filles enceintes sous peine de gâcher leur vie. Si cela arrive, nous devons lui donner une chance de réorienter sa vie et aussi entourer l’enfant d’affection.” Des propos qu’approuvent certaines filles mères : “Ce n’est pas un secret : est voleur celui qui se fait attraper. Nous qui avons eu cette mauvaise chance, nous sommes stigmatisées, mal aimées et rejetées. Certaines n’acceptent pas la honte et cherchent donc par tous les moyens à se débarrasser de ce fardeau afin de garder une place dans la société. Pour échapper à la stigmatisation dont nous souffrons que l’État autorise l’avortement !”

Des fœtus ramassés dans des caniveaux, des bébés étranglés

Les avortements clandestins se multiplient à Goma, où depuis plusieurs mois des fœtus ont été retrouvés dans des emballages en plastique sur la décharge publique. On en a dénombré 23 en l’espace de six mois. “Faute d’un recensement, nous sommes dans l’impossibilité de retrouver les auteurs de ces meurtres, regrette Festine Kabuo, chef du quartier Mapendo-Nord en commune de Goma, et on ne sait pas distinguer les jeunes filles délinquantes assimilées aux femmes libres.”
Depuis décembre dernier, 11 fœtus ont été ramassés dans des caniveaux, et trois bébés étranglés retrouvés dans des poubelles publiques de certains quartiers de Goma : “Trop c’est trop ! lance un pasteur en herbe. Ils ont aussi droit à la vie. Notre constitution est claire : celles qui avortent sont assimilées à des meurtrières. Je demande à tout le monde de revenir à la raison, car 23 cas d’infanticide dans une ville cela me donne la chair de poule.” Un avis que partage Joseph Makundi, coordonnateur de la protection civile en ville de Goma.

Les avortements clandestins continuent malgré tout


Malgré ces cris d’alarme, de nouveaux avortements clandestins continuent à être pratiqués et des fœtus découverts ici ou là. Des filles viennent aussi de Bukavu pour avorter clandestinement avec la complicité de collègues de Goma. Le 20 janvier dernier, une jeune Bukavienne, qui venait d’avorter à quatre mois de grossesse, a failli se faire lapider par des habitants du quartier Rutoboko, à Goma. Elle n’a dû son salut qu’à l’intervention de la police
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Par Alain Wandimoyi